Je me suis sentie seule au monde quand j’ai pris mes baskets pour aller courir (plutôt trottiner...) sur le versant sud de la colline, derrière chez mes parents.
J’appréhendais beaucoup d’y aller. Les santés sont défaillantes, les humeurs inégales, les frustrations devenues trop grandes. C’était au départ un rêve, cette maison perchée dans la montagne au bout d'un chemin forestier. Il y a eu des années de travaux alors qu’ils prenaient l’un puis l’autre le virage de la retraite, des tuiles de propriétaires ruraux (au sens premier, presque), ici qui coupe l’eau de source, là qui coupe l’électricité. Quand ma mère m’a dit qu’elle était allée laver du linge dans la rivière faute d’eau courante en pleine canicule, je me suis dit que le le recto de la photographie était bien inquiétant. Inquiète, je le suis devenue chroniquement. Les chambres d’hôtes battaient leur plein mais la dépense énergétique était excessive pour ces deux parents devenus seniors, même avec la vivacité de ma mère et la bonhommie de mon père comme fil rouge.
Cela va faire dix ans, et entre temps il y a eu le cancer, la chimiothérapie et la radiothérapie, loin, sans véhicule qui accepte de monter le chemin forestier, en plein mois de neige. D’inquiète je suis devenue en colère, en visualisant ma mère remonter seule avec une lampe frontale, pendant 2h avec un mètre de neige, à travers la forêt.
Mon père ne veut pas partir. Il se met lui aussi en colère quand je lui parle de choix raisonnables. Il objecte qu’il vit où il le décide. Qu’il aime couper du bois. Alors qu’il n’est pas du cru, qu'il ne sait pas faire. J’apprends avec Daniel comment se passe la vie à la campagne, on se prête des machines, on fait un roulement de services. On ne coupe pas cent troncs d’arbres avec un sécateur (j’exagère à peine).
J’ai de la peine. Ils se disputent. Ma mère comprend les limites de leur rêve, mon père s’y accroche. Il refuse catégoriquement de lire livre de Dominqiue Loreau sur Vivre dans un petit espace. Il ne vit plus qu’avec un horizon d’arbres infini, les deux collines qui se font face devant la maison, loin du vacarme de la ville. Il dit que partir c’est mourir.
Ma mère boîte après son opération du genou. Elle se remet très bien néanmoins, mais ne peut plus faire grand chose. La vieillesse rend les regrets plus amers, les remords plus acides. Elle passe comme un grand coup de vernis sur les aspérités de la personnalité. Tout devient plus grave, les chutes inévitables, les montées fatigantes. Il y aurait un dernier but, vivre ailleurs, et la perspective sème la zizanie comme jamais dans leur couple.
J’écoutais souvent mes collègues un peu plus âgées se plaindre de ce que leurs parents déclinants leur demandaient de faire. Beaucoup plus de présence, de l’anticipation, de la fatigue. J’étais contente de ne pas vivre ça. Et là je me sens bien démunie, avec ces soucis qui me grignotent. J’essaye de faire la part des choses entre ce qui est en mon pouvoir et ce qui ne l’est pas, entre mes prérogatives et ce qui n’y est pas, leur histoire et la mienne. Je me demande d’ailleurs comment je pourrais faire, maman solo avec un job à plein temps à 1h30 de route, pour aider. Je n’en ai même pas envie. Ca me semble trop, je ne m’en sens pas capable.
Aller courir et marcher un peu, nager aussi dans la piscine de la petite ville voisine, m’a aidée. Ca ne résoud rien mais allege un peu le poids des pensées.

Tes mots me touchent Marion . J aime beaucoup te lire ici . Je me sens privilégiée
RépondreSupprimerMerci Maud, tes mots me touchent beaucoup...
SupprimerC est Maud
RépondreSupprimerJ'ai aussi perdu l'habitude de mettre mon nom...
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